ARBEL
distributeur succursaliste
Il y a maintenant presque vingt ans, j'assistai pour la première fois de ma vie a une conférence donnée par un des inventeurs de la grande distribution aux Etats Unis et, il débuta par ces mots.
«Levez-vous messieurs « nous dit-il, et «s’il vous plait je voudrais vous demander une minute de silence. Cette minute de silence pour les centaines de détaillants qui ont disparu l’année dernière».
Je dois vous dire que l’assistance à fait grise mine et s’est même un peu inquiétée, a été choquée. Et puis la minute de silence passée, alors que tous le monde se rasseyait au milieu de discutions de ce qu’ allait être la conférence, notre homme tout d’un coup réclama à nouveau le silence.
A la surprise générale, "levez-vous dit-il, je voudrai maintenant une nouvelle minute de silence, d'un silence profond car je voudrai que l’on se recueille sur les centaines de détaillants qui vont mourir l’année prochaine. Cet homme n’était pas n’importe qui. Il avait quelque temps auparavant inventé la formule devenue célèbre et sur laquelle s'est développée la grande distribution depuis: "des ilots de pertes dans un océan de profits".
Il avait bien entendu raison, car l'effritement du commerce de détail indépendant n'a pas cessé depuis cette date. Nous verrons tout à l'heure que ce qui était vrai aux Etats Unis s'est produit en France, en alimentation et, malheureusement devient aussi vrai dans notre métier de la chaussure.
J’ai la chance de bien connaître le métier de la chaussure, mais pas simplement dans l’une de ces fonctions mais dans presque toutes. La conception, la fabrication, la distribution, le marketing. Depuis le 1er mai 1968, véritable période charnière, révolution dans les moeurs mais aussi dans la consommation, je suis au coeur du problème de la chaussure. J’ai eu la chance d’être confronté à tous les problèmes de cemétier.
J’ai commencé par la base: j’ai été en magasin, j’ai fait les vitrines, j’ai reçu des clients, j’ai organisé les vendeuses j’ai été confronté journellement au problème de mon chiffre d’affaire à réaliser. Période plus facile qu'aujourd'hui peut-être. Mais il n’empêche que les règles du commerce n’ont guère changé depuis. Il faut toujours avoir le bon produit, il faut toujours le montrer au meilleur moment, il faut que son prix soit acceptable par les consommateurs, et il faut enfin que ceux-ci le trouvent au bon endroit. Rien a changé dans ces règles, non vraiment rien. Certes, la concurrence est devenue plus vive, mais aussi grâce à cette concurrence, vous qui êtes là, vous êtes plus fort. Et si vous n’étiez pas fort, je pense que comme lors de mon introduction nous aurions été obligé de passer une minute de silence pour nous souvenir de vous.
Ayant plutôt bien réussi dans la gestion de magasin, j’ai eu à gérer pour un grand groupe de distribution l’approvisionnement de centaines d’autres magasins En quoi consistait mon travail? Simple… il suffisait de mettre en place dans les magasins des chaussures ce que des acheteurs achetaient sans véritablement connaître l’attente des consommateurs. C'étaient de grands professionnels de l'achat, de la négociation, du prix. Ils connaissaient parfaitement l'offre de tous les producteurs européens. Les matières, les talons, aucun détail technique de la chaussure n'avait de secret pour eux.
A cette période de ma vie s'est produit un profond changement parce que tout d’un coup, je me suis rendu compte que l’organisation commerciale des entreprises était quelque chose d’assez rétrograde, de "dinosaurien" . Nous venions de vivre une révolution dans nos façons de consommer, et personne ne prêtait véritablement attention aux attentes des individus et personne ne s’occupait dans le fond de ce qui fait acheter, ou ce qui fait refuser l'achat un produit.
Il m'a fallu jongler à ce moment là avec des dizaines de milliers de paires pour les faire passer d'un point à l'autre de la France, les enlever d'un magasin X pour les mettre dans un magasin Y. Et pourtant aucun des produits n'était fondamentalement mauvais, aucun des produits n'était à un prix jugé excessif.
Par contre, un des points essentiel du commerce était oublié: c'est que les consommateurs souhaitent trouver le produit dont ils rêvent dans un point de vente particulier et ne le voient même pas lorsqu'il n'est pas dans l'environnement adéquat. Le produit seul (déjà à l'époque) ne suffisait plus!.
Mon métier suivant fut d'organiser non plus l'approvisionnement des magasins, mais l'achat et la gestion des produits pour les magasins. Fonction délicate puisque je devais à la fois connaître les consommateurs, connaître les producteurs, connaître les magasins, les tendances de style des produits et leurs prix. J'étais confronté aux problèmes majeurs de tout détaillant à la différence près est qu'il me fallait l'assurer pour 400 points de vente. Cette période fut essentielle pour ma vie professionnelle car je passais en quelques années d'un marketing primaire à un marketing moderne.
Le marketing primaire simple est malheureusement encore trop souvent appliqué dans les entreprises du domaine de l'habillement. Je me souviens d'un créateur qui disait à l'époque : "Dans notre métier, le marketing consiste à avoir envie de quelque chose… avant les autres…". Je crois bien qu'il n'est plus vraiment créateur aujourd'hui. Penser qu'il suffit d'avoir de bons yeux, je dirais plutôt d'un bon nez pour découvrir et précéder le marché n'est plus suffisant.
Le marketing intermédiaire qui a prévalu dans nos activités jusqu'en 80 consacrait la surveillance de la concurrence. Aussi les bons yeux ne suffisaient plus et tout d'un coup il fallait utiliser plutôt des jumelles pour bien voir. Les jumelles, cet outil qui, grossisant par nature permettait avec un seul réglage (pour certain encore le produit, pour d'autre las prix, pour d'autre l'emplacement du magasin) donc cette paire de jumelles suffisait tout simplement à bien voir son marché et à bien se développer. Voir et plagier ce que faisaient les autres était rassurant, car vivant tous dans le même univers, il était possible de constamment rattrapper le retard accumulé.
Et puis tout d'un coup je suis passé au marketing moderne. Bien sûr, le marketing moderne fait appel à des outils mais encore plus perfectionnés. Je dirai que cette fois-ci l'outil a privilégier est la longue vue car elle permet de voir de façon précise loin devant. Mais à une seule condition c'est que chaque objectif de cette longue vue soit parfaitement réglé.
Imaginons que chaque objectif de cette longue vue soit un des points du marketing mix. Le marketing mix est le nom que l'on donne aux méthodes permettant de faire consommer. Il y a quatre points primordiaux au mix d'une entreprise commerciale: le produit, le prix, la promotion, le point de vente (4P)
D'abord les produits comment sont-ils sélectionnés, comment sont-il achetés. Quelle fonction recouvrent-ils, quelles attributs ont-ils? En fait à quoi servent -ils? Ces questions sont systématiques, les réflexions classiques "il a un beau talon- j'aime bien sa matière, machin le vend bien" ne peuvent plus suffire…
Les prix ensuite. Sont-ils trop élevés, pas suffisamment élevés. Comment se situent-ils et par rapport à quoi? Pour un consommateur un prix est toujours trop élevé. Mais comment connaitre le niveau de prix où: "au dessus c'est trop cher, au dessous ce n'est plus assez bien". Mettre un produit à son juste prix, comment peut-on le fixer? Est-ce par rapport à votre concurrent immédiat,est-ce par rapport à votre concurrent de périphérie, est-ce par rapport à… quoi?
Troisième éléments de notre longue vue, de votre marketing mix la distribution de ce produit. Votre point de vente, ses vitrines, l'organisation du magasin, son agencement, son personnel… Imaginons un produit X à un prix Y dans une vitrine. Est-on bien sûr que ce magasin est celui qui correspond à l'attente fondamentale du consommateur intéressé par ce produit. Les points de vente sont aujourd'hui l'interface entre des attentes extrêmement complexes et des produits précis. C'est dans les points de vente que va se fondre une offre de plus en plus abondante, de plus en plus étudiée et une attente de plus en plus segmentée. Le réglage de cette partie de la longue vue est des plus compliqué, car il nécessite une compréhension parfaite des comportements des individus lors de l'acte d'achat.
Et puis dernier point de cette longue vue qu'il faut régler avec prudence et avec souplesse, la promotion, la publicité. Pour ce point je pense que d'autres personnes vont en parler beaucoup mieux que moi tout à l'heure, mais quand même, n'oubliez pas qu'à la base de toute bonne communication il y a un bon marketing. Si votre marketing n'est pas précis c'est à dire que si les entreprises locales qui vont communiquer ou qui communiquent pour vous ne connaissent pas exactement vos produits ne connaissent pas exactement vos magasins ni à quel gamme de prix vous vendez, ni les attentes précises de vos clients, votre communication à toutes les chances de se diluer et de ne servir à rien.
Donc l'ensemble des ces points du marketing mix évoqués sont comme je vous le disais semblable à une longue vue. Vous en connaissez tous le fonctionnement. Lorsqu'elle est bien réglée aucun problème on voit d'une façon très précise et très claire. L'objet le plus loin peu apparaitre comme quelque chose de près. C'est à dire que si votre longue vue du marketing mix est bien réglée vous allez pouvoir percevoir, vous allez pouvoir sentir, vous allez pouvoir être au fond de votre marché. Mais si parcontre un seul de vos objectifs est mal réglée, et je dis bien un seul, votre vision va être floue, vous n'allez avoir du marché qu'une vision complètement déformée des choses.
Je dois vous dire, mon expérience du marketing de la chaussure me l'a souvent prouvé, on a bien souvent une vision un peu déformée des choses dans ce métier, parce que justement on fait toujours passer le produit avant tout . Mais il ne faut pas oublier que le produit n'est qu' un des éléments du marketing mix. Que le reste est tout aussi important et que aujourd'hui si vous vous trompez sur la communication, si vous vous trompez sur l'échelonnement de prix, si vous vous trompez sur l'organisation de votre magasin votre produit peut être le plus merveilleux de la terre,il ne trouvera pasde consommateur pour venir l'acheter chez vous.
Je décidai en 1976 de quitter le succursaliste leader en France, car il manquait à ma formation une dimension internationale. Entré pour développer les activités chaussures et maroquinerie chez ungroupe Coréen de taille mondiale, j'ai pendant quatre ans eu la chance d'être constamment en Asie, en Chine, au Japon, aux Etats Unis, à Londres, à Stocholm, a Franckfort, à Milan… Tout d'un coup, je découvrai que le monde n'était pas aussi grand que cela. Tout d'un coup, je découvrai que les produits qui marchaient en Californie marchaient aussi à Paris. Mais qu'en même temps, parce que les informations commencaient à bien circuler grâce entre autres à la télévision, les mêmes produits étaient recherchés à Argenton sur Creuse, à Bergerac ou Sélestat.
Je comprenais à ce moment là que la régionalisation des produits ne voulait plus dire grand chose, et que nous rentrions dans une période de développements mondiaux. Il est vrai que depuis cette date, toutes les tendances sont universelles : le jogging, le tennis, le bateau, le basket, le timberland, le paraboot, le cycliste, la tendance japonaise, le style "Lacroix", maintenant le Pallabrousse… Toutes et tous ne se confinent plus à notre hexagone. La mode est mondiale, seule la non-mode est régionale.
Comme la demande et les tendances de fond sont mondiales, les offres de produits deviennent aussi mondiales. Les idées vont toujours plus vite que les produits. La concurrence entre producteurs s'avive; sur les prix, mais aussi sur les produits. Il faut faire preuve de plus d'imagination, de plus d'innovation. Qui en profite? …La distribution. Quelle distribution? …Celle qui parait la plus à même de prendre les risques liés à l'innovation: les succursalistes.
Il manquait à mes connaissances un domaine important : la production. En 1980, je répondai à la demande d'une PMI m'offrant la possibilité de travailler à la segmentation de ses produits. Un fabricant français, fort d'une longue tradition, un patron jeune, d'un dynamisme séduisant pour un cadre soucieux de son avenir. Tout mon acquit des dernières années allait pouvoir donner à plein. Objectif: stabiliser l'augmentation des ventes chez les succursalistes et à la grande distribution, créer des marques et des produits spéciaux pour développer la pénétration chez les détaillants. Résultat, un quasi échec, toutes les innovations produits, les nouvelles marques trouvaient immédiatement écho chez les succursalistes. Même les acheteurs de la grande distribution, de la VPC étaient preneurs; malheureusement, les efforts faits auprès du détail indépendant étaient vains.
J'ai crée à ce moment là une entreprise de conseil en marketing, et stratégies commerciales.
Où en sommes nous en 1988 ?
Prenons un instant pour faire le point sur l'évolution générale du commerce et essayons de comprendre ce qui s'est passé. Partant de là nous essayerons d'en tirer des enseignements pour l'avenir du groupement Arbell, pour votre avenir.
La civilisation, née de la révolution industrielle a souvent été décrite comme celle de l'objet. Cette vision, réductrice, du monde contemporain est aujourd'hui dépassée.
Semble émerger maintenant une civilisation de la qualité: pour la première fois dans l'histoire, trois révolutions se chevauchent; une révolution technologique, une révolution sociologique (nous en reparlerons tout à l'heure), une révolution éthique. Cette dernière nous conduit à une civilisation de la qualité qui revêt une triple forme : technique, sociale et culturelle qui est bien faite pour correspondre aux services. On admet que d'ici 10 ans 70% des activités seront des activités de service et 30% seulement de production. Ce qui est une inversion totale de la situation actuelle.
Une vérité, déjà ancienne, mais encore fortemement méconnue dans les produits en déclin s'impose maintenant :notre monde n'est pas celui des marchandises, mais celui de l'échange et de la communication.
De façon un peu schématique, on peut avancer la thèse que dans la première partie du siècle, les Grands Magasins, les Magasins Populaires, correspondaient aux progrès des industries de produits de consommation et remplacaient définitivement les artisans, symboles de la micro-économie locale.
Les Hypers et supers des années 60 et 70 sont le prolongement logique de la révolution automobile, et de la consommation quantitative.
Les néo-spécialistes de l'habillement (et de leurs accessoires) des années 80 reflètent l'avènement d'une société de services et de communication dans laquelle la part du qualitatif est primordiale.
Quels constats pouvons nous faire de cette évolution …?
1er Constat : sur le marchéde la chaussure (constat repris intégralement d'une étude réalisée dernièrement.)
Le détail indépendant qui représentait plus de 60% des produits féminins est en chute constante depuis dix ans. Ce que les détaillants imaginent être leur point fort : leur connaissance du produit, de la chaussure, en fait "l'objet chaussure" prime généralement trop sur tout le reste. (tableau 1- marché)
Les hypers marchés, les supers, les magasins "d'usine" les "halles" sont en conflit pour la maîtrise des périphéries des grandes villes, mais aussi des campagnes. Les produits sont généralement des produits "banalisés", leur service prioritaire est avant tout le prix ou la facilité d'accès. (tableau 2 - périphéries - hypers)
les succursalistes nationaux ont quasi verrouillé les centres villes : crées à l'origine pour vendre leurs productions, ils sont peu à peu devenus les spécialistes du service et de la communication. Les plus performants ont pris, par le jeu normal de la concurrence, un poids grandissant. Le processus actuel de concentration contribue à améliorer encore leur productivité et à consolider leur part de marché. (tableau 3 - succ)
Les franchises, contrairement à l'habillement ne sont pas pour les succursalistes un vrai moyen de développement. Sauf pour Eram. Elles n'ont pas vraiment non plus de séduction pour les industriels (contrairement à ce qui se passe dans l'habillement) dans la mesure ou le risque de conflit avec la distribution leur parait trop grand. Ce qui entraine les industriels a franchiser essentiellement des magasins en difficulté, mal placés, ou dans des régions "non sensibles" pour eux.
Les groupements de détaillants ne sont pas en France une véritable force de distribution dans la mesure où ils communiquent encore peu, et dans la mesure où ils ne semblent pas posséder de stratégie commune de développement.
Si l'on compare ces différentes courbes, une première évidence s'impose : croissent les formules de vente qui disposent soit de structures centralisées (grande distribution, succursalistes), soit qui sont proche des consommateurs (habillement). Les spécialistes du produit-objet-chaussure sont plutôt en régression (chausseurs, cordonniers)
Deuxième constat : le rôle des magasins
Si nous considérons l'évolution économique et sociale de notre société nous constatons un système des comportements à "multiplication cellulaire" : la consommation, les produits, les services de plus en plus sophistiqués sont la manifestation de ce processus irréversible. La multiplication cellulaire est le fait que toutes idées, toutes choses croissent à l'infini et de manière exponentielle, comme un corps humain.
Le magasin, qui était un endroit "simple" dans lequel on venait acheter une paire de chaussure a de ce fait changé de fonction.
Plus le marché devient un "centre de communication" un endroit d'échanges, entre les créations des industriels et les découvertes ou les recherches des consommatrices, plus les commerçants qui sont les acteurs centraux sont conduits à se spécialiser pour accroître leur efficacité de codage-décodage des messages des unset des autres.
Ils permettent ainsi une adéquation de l'offre et de la demande dans un contexte de diversification croissante des attentes des consommateurs face aux choix de plus en plus abondant (même sans doute trop abondant) proposés par les producteurs.
Les néo-spécialistes de l'habillement, certaines petites chaines de détaillants, et surtout les succursalistes, ont compris que le magasin est un endroit "magique" dans lequel, la sensibilisation au prix est toujours inversement proportionnelle aux services apportés.
3ème constat,
la modernisation des logements et favorisent par conséquent un retour vers la ville de catégories socio-professionnelles à pouvoir d'achat élevé, mais aussi des ménages à double salaire.
Il ne s'agit plus maintenant d'organiser une forte croissance urbaine mais d'offrir aux citadins une qualité du cadre de vie et de l'environnement à la mesure de leurs exigences croissantes.
Alors justement, les consommateurs, quelles sont leurs exigences, leurs comportement, leurs attentes?
Nous, consommateurs, appartenons déjà à une civilisation de l'intelligence, de l'immatériel. Il nous faut maintenant assister non plus le ventre ou les muscles - puisque là, manifestement tout est comblé-, mais plutôt le cerveau. Or, le cerveau se régale d'informations.
Plus intelligents, réclamant à être mieux informés, nous consommons mieux. Nous étions gourmands, nous sommes devenus gourmets. Consommer mieux, signifie d'abord consommer moins. (Tout le monde s'en rend compte aujourd'hui). Non par souci d'économie, mais par souci de justesse. Notre credo n'est plus: "je veux, je veux", mais:"je cherche ce qui me convient le mieux"
Consommer mieux signifieaussi consommer de moins en moins de matière, de plus en plus de "valeur ajoutée immatérielle". On n'achète plus une chaussure-objet, on achète sa fonction, on achète le look qu'elle va conférer, on achète le plaisir qu'elle va donner.
Pour contrebalancer la perte de rationnel dans l'acte d'achat, les consommateurs attendent de plus en plus de sincérité de la part des industriels et des commerçants.
Enfin, on peut dire que pour les consommateurs, les chaussures se répartissent en deux catégories essentielles :
celles que l'on va acheter en essayant de gagner du temps,
et celles que l'on va acheter en perdant du temps de façon agréable.
Comment repérer et mieux connaitre les individus-consommateurs?
Cela sera mon quatrième constat : les individus ne peuvent plus être étudiés seulement en fonction de leurs revenus ou de leur catégorie socio-professionnelle. Ils consomment maintenant en fonction de leur manière de vivre, en fonction de leurs "styles de vie" comme le décrit le CCA, centre de communication avancée.
Depuis 1972, le CCA étudie les comportements d'achat des français et les analyse en fonction de 4 valeurs opposées : Les valeurs de changement opposées aux valeurs de conservatisme, et les valeurs de rigueur opposées aux valeurs de plaisir.
Grâce à ces analyses, il est apparu des groupes homogènes de consommation. L'évolution des 15 dernières années a pu montrer qu'il s'agissait véritablement de systèmes de vie, de "Styles de vie" et que tout achat de produit, qu'il s'agisse de chaussure, de voiture, de produits de beauté pouvait être analysé avec cette méthode. tableau "style de vie "
Par commodité, le CCA a représenté sur une carte ces différents styles de vie en positionnant
du centre vers la droite le conservatisme
du centre vers la gauche le changement,
du centre vers le haut le plaisir
du centre vers le bas la rigueur.
Chacun des groupes représente un territoire sur cette carte.
Voyons comment chacun d'eux fonctionne :
Les activistes sont caractérisés par «L’ innovation, l'action, le réalisme, le management» Ils représentent 14 % de la population.-presque 25% en 1975, à la naissance des CCR
Ils sont cadres, Patrons, exercent des professions libérales, … mais aussi d’origine modeste (les militants): cadres sociaux, syndicaux, autodidactes de haut niveaux, responsables politiques, …
Les médias sont leurs principales sources d’information. L'économie, la Bourse les passionne.
Les activistes sont motivés par la réussite et le goût du leadership plus que par le luxe et l’argent. "Etre le Premier" , est leur leitmotiv !!! L’argent est une récompense qui leur permet de se procurer…" Les Symboles de la Réussite, le Standing".
Les activistes ne thésaurisent pas !!, ils dépensent en objets de loisirs. Ils s’adaptent au modernisme plutôt que de le créer… Ils recherchent des produits plutôt Haut de gamme, prouvant leur standing.
Les Matérialistes. "L'Ordre etla Tranquillité" sont leurs aspirations. Ils sont aujourd'hui 24% du pays. Ils appartiennent aux classes moyennes : ouvriers, employés,…Ce sont des nostalgiques du "bon vieux temps ". Ils acceptent le monde moderne, a condition qu' il ne modifie pas leurs habitudes et les relations humaines. Ils recherchent le bien-être matériel, et favorisent l’autoproduction: jardinage, bricolage, décoration,…
Toute agression ou menace les fait réagir trés vivement, par le corporatisme, la xénophobie, l’autodéfense. Ils prônent pour une justice plus sévère. Les lieux dans lesquels ils vivent doivent ressembler à des nids douillets !! Ils sont effrayés par l’organisation actuelle de la société.
Ilsrecherchent des produits fonctionnels, garantis.
Les Rigoristes «Les vrais Conservateurs» 20 % de la population se reconnait dans ce groupe.
Les Rigoristes associent la crise à la décadence du monde moderne. Ils sont généralement d’un âge assez élevé : petits patrons, artisans, commerçants, cadres moyens de ville moyenne et d’âge moyen. La grande mission de leur vie : « bâtir un patrimoine et le préserver «.
L’argent est une valeur méritée par l’effort, le sacrifice, l’austérité, et l’épargne.
Leur attitude est de plus en plus réactionnaire : retrouver l’ordre, la discipline, la rigueur.
Leur attirance va vers tous les produits de Tradition.
Les Décalés. "Asocial" est le qualificatif qui leur convient le mieux.
20% des français. Ils sont : jeunes, urbains, étudiants, cadres ou professions libérales. ( 35% des Décalés ont moins de 25 ans.) Leur souci essentiel est de tirer leur épingle du jeu. La «débrouille» Seule leur vie privée mobilise les Décalés…"Ils s’éclatent !!" Ils sont passionnés, ils aiment l'aventure,toutes les émotions. ( danse, musique, cinéma, jeux,…) Les Décalés sont trés bien informés. Leur foi par rapport à l'habillement : être différents.
Les Egocentrés sont « les fous du plaisir»
Les Egocentrés sont les derniers nés de la crise. 22%
Ils sont: jeunes, de formation technique, ouvriers, employés, chômeurs, banlieues des régions industrielles. Pour eux, la vraie réussite est celle de l’argent qui permet de frimer. L’apparence, les vêtements et l’automobile jouent un rôle de premier plan. Ils sont de bons vivants, aimant boire, danser, manger. La mode à petitsprix.
Lorsque l'on suit l'évolution de ces comportements l'on se rend compte qu'en dix ans ce sont les flux socio-culturels conservateurs qui ont le plus progressé et qui sont aujourd'hui majoritaires. Ils se traduisent par un repli général vers les valeurs sûres de la tradition, les racines, l'imaginaire, le rêve contre l'angoisse du futur.
Ce reflux passif, individualiste et rétro radicalise la consommation en trois tendances claires et opposées pour l'habillement
tableau"style de vie et mode"
la "fuite en avant" de la mode et de la création
la "sécurité" du classisme et de la tradition
le "retour aux sources" de la nature.
Nous connaissons aujourd'hui parfaitement, grâce au CCA le poids dans la population de chacune de ces tendances. :
- le style, le look, les tendances création intéressent presque 1 personne sur 3. Essentiellement féminin d'ailleurs. Avec deux groupes qui cosomment des produits assez différents : l'un la mode haut de gamme dans des boutiques, l'autre la mode dégriffée ou les prix direct d'usine.
- la tendance nature, la recherche du fonctionnel ne concernerait plus maintenant que 10% du marché. C'est dire que nous sommes loin de la vague de l'"écologie" ou du sport. On peut constater que ce groupe a fait les beaux jours du sportswear.
-la troisième voie, de loin la plus importante concerne la tendance vers le classicisme. Elle est majoritaire : plus d'un français sur deux fait vis à vis des chaussures référence à la tradition, aux indémodables, aux basiques…
Pour chacun de ces groupes, s'ils ont vis a vis des produits des attentes particulières, ils ont aussi des opinions et des attentes précises quand au lieux dans les quels il vont vouloir trouver leurs produits, ainsi qu'aux méthodes pour les acheter. (tableau "style de vie et achats").
Je vous parle maintenant depuis une demi heure, et je me demande si je vous ai apporté le service que vous attendiez.
Je vous ai parlé de mon histoire, de marketing, de méthodes, j'ai essayé de faire un constat en différents points de l'évolution de notre métier, des changements intervenus dans le rôle des magasins, de leurs nouvelles fonctions. J'ai voulu faire une courte synthèse sur l'urbanisation et ses conséquences pour le commerce, pour votre avenir. Et puis, comme il n'y a pas d'achat sans acheteurs, il était évident qu'il me fallait parler des consommateurs, de leurs comportements actuel, de la connaissance que l'on pouvait en avoir.
Ceci n'a d'intérêt qu'à la condition de savoir "mais à quoi tout cela peut-il bien servir?"
Je voudrai avant de poursuivre vous citer deux phrases de deux personnalités de la distribution et vous inviter à y réfléchir.
La première est de votre concurrent le plus direct puisqu'il s'agit d'Edouard Leclerc:
"La réussite est de savoir qu'il n'y en a pas puisqu'il faut tout remettre en question chaque jour"
Pour se remettre en question, vous conviendrez qu'il est nécessaire d'avoir des références, et que ces références, si vous êtes isolé vous risquez de ne pas les avoir.
La seconde est attribuée à votre concurrent le plus dangeureux Jean Louis Descours Président du groupe André: "Il y a trois sortes d'entreprises, celles qui contemplent les évènements, celles qui cherchent à les comprendre, et celles qui les provoquent."
Pour provoquer de évènements encore faut-il être puissant. Un évènement isolé dans une petite ville de province n'est pas un évènement.
Mon choix de citer ces deux hommes n'est pas gratuit, car ce sont eux, avec ce qu'ils représentent comme force, vos vrais dangers. Parce qu'eux réussissent en vous comprimant, en vous contraignant. Eux réussissent pourtant en faisant le même métier que vous : proximité et service. Eux réussissent car dans leur multitude ils sont "un" :
Une enseigne, une stratégie, un positionnement, une équipe, un produit, mais avec des individus, des hommes pour être au contact des clients.
Dans un monde où tout bouge, tout change, tout est instable, la moindre bonne idée est immédiatement appliquée, amplifiée, car ils sont UN.
Voyons si vous levoulez bien quelle peut-être la stratégie des succursalistes, et nous verrons ensuite quelles peuvent être nos réponses. Nous parlerons une autre fois si vous le souhaitez, des hypers et supers.
D'abord, la stratégie de développement des succursalistes. Comment s'y sont ils pris pour en 1988 occuper pratiquement un tiers du marché.
Leur croissance a trois étapes qui correspondent tout à fait bien à l'évolution de l'urbanisme.
Stratégie précise et puissante : "ils y vont à coup sûr".
1er temps : 1960-70 Cible: les grandes villes, les détaillants.
2ème temps :75-85 le commerce se déplace vers les périphéries, on s'installe dans tous les centres commerciaux. Mais en même temps comme apparait le système franchise, on recrute des détaillants dans les villes plus petites (c'est moins cher que d'y installer une succursale)
3ème temps : les centres villes redeviennent intéressants, les plus puissants financièrement, les plus informés, mais aussi les plus professionnels en marketing, rachètent les plus faibles. On assiste à des associations, à des mutations d'enseignes, à un nouveau bouleversement du paysage commercial de la chaussure encentres villes.
Et bien pourrait on dire, nous détaillants que nous reste-t-il si d'un côté, les hypers, les supers nous attaquent sur les prix et même maintenant sur le service de proximité, et si de l'autre les succursalistes monopolisent tous les centres villes?
Je voudrai en début de réponse vous proposer de vous commenter en cinq points la stratégie du groupe André. Rien de secret, tout est paru dans la presse.
Secret de leur réussite : le Savoir-faire commercial.
"Le métier de succursaliste ne s'improvise pas" dit Jean Louis Descours.
Première règle de leur stratégie : savoir choisir de bons emplacements, et s'ils ne sont pas disponibles racheter des concurrents.
Deuxième règle : Une identité propre à chaque marque, un aménagement étudié en fonction d'une cible absolument précise, en fonction des lieux d'achat, en fonction de la concurrence.
Troisième règle : la formation du personnel, 8% de la masse salariale est affectée à la formation ce qui dans nos métiers est un record.
Quatrième règle : Une excellente logistique, transports, informatique : les produits doivent être à l'heure, le client n'attend pas.
Cinquième et dernière règle :On nous achète parce que l'on nous voit, on nous voit car nous sommes puissants.
En analysant cette stratégie, je me souvenai d'une époque où JL Descours faisait constamment référence à la nécessité d'être "Godassier" pour faire ce métier. Rien ne vous choque dans ces cinq règles?
Je vais vous aider : Il parle de savoir-faire commercialet pas une fois il ne parle de produit. Pas une fois il ne fait référence à la chaussure. Pas une fois il ne fait référence au métier de la "godasse", métier qui a fait les beaux jours d'une multitude de détaillants, et de cordonniers attirés par la belle chaussure, le beau cuir, le beau talon…
Je vais vous peiner… Le métier de la chaussure n'existe plus !
Je crois que l'heure qui m'était réservée est écoulée. Aussi, je souhaiterai terminer cet exposé sur une analyse d'espoir.
Lorsque l'on parle de marketing, comme j'ai essayé de vous en parler tout à l'heure, on se rend vite compte que les succursalistes, mais aussi les centrales d'hyper en sont de vrai spécialistes et cela depuis de longues années. Là se trouve une des raison de leur puissance. En 1974 déjà, le syndicat des succursalistes mettait à la disposition de ceux-ci des études sur les consommateurs.
J'ai travaillé personnellement avec le CCA dès 1973. Les succursalistes connaissent les comportements et les attitudes face à la consommation mieux que quiconque. Il est normal que grâce à cette connaissance ils sachent deviner quels seront les bons produits demain.
Ils ne gagnent pas à tout les coups, mais ils se trompent moins souvent.
Des spécialistes en marketing, comme vous en disposez doivent vous y aider. C'est à cela que sert un groupement.
Je vous ai ensuite parlé du nouveau rôle des magasins. Je me souviens avoir écrit il y a plusieurs mois dans la presse professionnelle que la relation entre un commercant et un client s'était profondément changée au cours de cette génération, et que bien recevoir ses clients et leur dire "bonjour" ne suffisait plus. Il faut aussi comme le dit Philippe Francès de Darty, que "l'achat soit une fête, que cet acte doit se faire dans la joie et la confiance"
Donner la joie et la confiance, n'est possible qu'à la condition que vous connaissiez votre nouveau métier de spécialistes de la distribution. C'est un des points fort des succursalistes. C'est aussi un des vôtre.
Former et vous former, des spécialistes de la formation comme vous en disposez doivent vous y aider. C'est à cela que sert un groupement.
Nous avons aussi fait un tour large pour comprendre les évolutions de l'urbanisme. Vous sentez, parce que les succursalistes font maintenant la majorité des efforts dans cette voie, vous sentez que les centres villes retrouvent une bonne place pour les achats de produits non banalisés.
Fuyiez la banalisation, elle ne vous convient pas. Mais fuir la banalisation ne veut pas dire offrir des produits mode risquée, cela veut dire offrir des produits justes. Vendez des produits différenciés. Vendez des produits que l'on va acheter en perdant du temps de façon agréable.
Suivez les évolutions de la structure des villes, repérez les quartiers qui se modifient, les centres commerciaux urbains qui se développent.
Vous avez des emplacements de valeur, ils le sont aujourd'hui. Le seront-ils demain? .
Vous avez de bons spécialistes de l'emplacement, assurez vous que votre patrimoine ne se dévalorise pas trop vite. C'est un point fort des succursalistes, c'est aussi le vôtre. C'est aussi à cela que sert un groupement.
Enfin, nous avons parlé des consommateurs, et je voudrai lier les consommateurs et les produits qu'ils achètent. Votre directeur Pierre Vadé le remarque fort bien : le consommateur est devenu imprévisible. Acheter une paire de Weston aujourd'hui, une paire de tennis Mammouth demain, rien ne le dérange. Là est la force aussi des succursalistes : Ils sont devenus spécialistes. Spécialistes de catégories de clientèles. On n'achète pas de chaussures à 1200 frs chez André, qu'à cela ne tienne, on achète la société Weston. Et onsegmente le marché.
C'est là une des vraie science des succursalistes, mais c'est aussi une des vraie faiblesse des détaillants. Vous ne pouvez pas tout faire, il faut segmenter votre marché, il faut vous spécialiser davantage, il faut trouver où être le plus fort.
Là encore, vos spécialistes commerciaux peuvent vous aider. Seul vous ne pouvez rien, il faut avoir la dimension du marché total pour se spécialiser.
C'est aussi à cela que sert un groupement.
Je concluerai par la puissance.
En cette fin de decennie, pour plaire, il faut être puissant. Nous en avons un peu parlé tout à l'heure, l'égocentrisme et l'égoïsme des individus va croissant. On n'achète pas lorsque l'on fait pitié. Cela était bon et vrai il y a maintenant très longtemps. On achète chez vous parce que vous êtes beau, riche et puissant.
La puissance inspire confiance. Les exemples sont trop nombreux pour vouloir vous le démontrer.
Cela veut dire que pour être puissant, il faut d'abord exister. Exister c'est être connu. Etre connu c'est communiquer.
André, Eram, Bata existent, sont puissants, parce qu'ils communiquent avec la même force.
Vous Arbell, vous ne communiquez pas en puissance, car vous diluez vos messages.
Et c'est bien dommage, car vous représentez une force d'alternative aux succursalistes trop bien organisés ou aux hypers trop dépersonnalisés.
Vous représentez une force, la force d'individus maîtres de leurs affaires, alors que vos concurrents sont malgré leurs "sourires aux dents blanches" obligés de composer avec dessalariés pas toujours bien motivés.
Vous représentez une force, car vous êtes plus près de vos clients que les gérants ou les chefs de rayons en général plus près de leur direction.
Enfin, vous représentez une vrai force car nous arrivons au plus fort de la tourmente et vous n'avez pas d'autre choix que de faire front et d'être soudés sous la bannière Arbell.