entre dinosaures et apprentis sorciers,

la nouvelle donne de la publicité.


Le magazine Stratégies, l'un des principaux titre français du marketing, commentait dans un article de fond sur les grandes mutations de la publicité: "Ce pourrait être un remake de l'histoire de grands et puissants dinosaures, soudain contraints de s'adapter pour survivre aux changements radicaux d'un environnement brutalement devenu hostile. Avec une astreinte, évoluer assez vite pour s'imposer dans un nouveau système. La métamorphose de l'espèce publicitaire a commencé."

Appliquant depuis de nombreuses années les principes d'un marketing évolutif consacré avant tout à l'innovation dans les marchés liés à l'habillement, j'ai voulu proposer aux lecteurs d'Hebdo-Cuir un point de vue sur les ruptures en cours dans l'un des principaux moyen du marketing: la publicité.

Comment, réclame dans les années 50, la publicité est-elle devenue la star des années 80, créant avec elle, les fils de pub, les stars de la pub, les prix de la pub, la pub de la pub…

Pourquoi en quelques mois, cette profession jeune, dispendieuse et bruyante est-elle devenue la cible des politiques et n'arrive-t-elle plus à convaincre de sa réelle nécessité? Pourquoi les publicitaires passent-ils au yeux des décideurs comme des "pousse au crime" qui en réclamant toujours plus de budgets semblent rendre exsangues les entreprises?


Fin de siècle.

Dans la majorité des marchés, incidence d'abord des baisses de pouvoir d’achat,de l'inquiétude grandissante et de l'angoisse du chômage, face à une offre démultipliée et souvent irraisonnable, les produits et marques de l'habillement après des années de valorisation subissent aujourd'hui une pression de plus en plus forte sur leurs prix malgré la présence de valeurs symboliques créatives ou culturelles évidentes.

Le public redécouvre la valeur réelle des produits, l'innovation visible, la vraie créativité, l'authenticité. Car les besoins majeurs de la population sont comblés: les armoires sont pleines de tee-shirts, de jupes, de jeans, de basket, de mocassins, d'escarpins. On n'achète plus n'importe quoi, on consomme les yeux plus ouverts, éduqués par vingt années de sur-consommation les acheteurs sont devenus exigeants. Et puis surtout, les achats plaisir, les coups de cœur, sont de moins en moins fréquents. On ne craque plus immédiatement sur tel ou tel produit aperçu dans une vitrine, on diffère l'achat, on réfléchit: est-ce vraiment utile, en ai-je vraiment besoin, je l'achèterai en soldes, n'est-ce pas trop excessif…? 

Dans l'habillement, ces nouvelles attitudes,ont plusieurs conséquences:

D'abord, ils renforcent l’impression des consommateurs qu’ils paient souvent trop cher un nom, un packaging, un produit supporté par une marque qui, même connue, est sans réelle valeur ajoutée, sans contenu.

Quant aux marques fortes, soumises aux agressions normales des acteurs d'un marché en régression, mais aussi aux pilleurs, sont obligées de préserver leurs positions en pratiquant des politiques de prix plus actives, diminuant ainsi leurs marges et leurs capacités d’investissements.

Enfin, le principe presque cinquantenaire maintenant du couple produit-marché qui consiste à fournir au marché des produits de consommation de masse est mort. Il n'y a plus de besoins. Consommer n'a plus d'intérêt, l'intérêt est ailleurs.

Ce contexte impose aux entreprises la création de nouveaux rapports avec le public en lui offrant des raisons plus objectives de choisir. Elle entraîne de fait une réforme des outils disponibles et leur utilisation: produits, environnement produit, magasins, communication au sens large.

Cette relation des entreprises avec le public passe maintenant par la démonstration et la conviction qu'il existe une réelle identité de vue entre eux et une totale adhésion à des valeurs communes.

Consommation, économie, identité, confiance. Chacun de ces mots est lié aux autres par un seul point commun: crise!

La publicité, amplificateur des excès de la société de consommation est elle aussi, en crise, en rupture évidente avec ses facteurs clés de succès du passé: le rêve, l'image, le grand spectacle, le toujours plus. Mais, l'excessif, la dérision, le branché, et tous les adjectifs accolés à ce métier ont, à force, miné la confiance des entreprises dans ce moyen royal du marketing. Les discours récents transformant la publicité en noble communication, les nouvelles philosophies, si elles sont les signes d’un malaise profond, rendent souvent perplexe.

Les agences de publicité, poussées par des besoins de croissance, face à la concentration des entreprises et des marques sont souvent devenues de véritables mastodontes. Les sociétés d'achat d'espace, contrepoids aux puissants médias, tv, affichage, ou groupes de presse sont devenues de telles "pompes à fric" qu'elles ont, elles aussi, poussé les agences à se regrouper, à se concentrer.

Et puis les grandes "affaires" politiques et économiques ont jeté le trouble et la suspicion sur la publicité. Les pratiques occultes de certains ont précipité les législateurs à réglementer un métier à richesse sans doute trop ostentatoire. Normale pour certains, excessive pour d'autres, la loi Sapin a un avantage, la transparence. Elle impose aux publicitaires des devoirs et des obligations.  Et pourtant, si elle ne leur confère aucun droit, elle a un inconvénient majeur : elle ne dynamise pas un des secteurs qui a eu vocation pendant plusieurs décennies de permettre aux produits et aux marques de croître.

Car la publicité est un outil économique avant tout. Elle donne un capital aux marques. Et ce capital, immatériel, contrairement aux produits physiques ne meurt pas si facilement. La marque, est en effet l'un des rares leviers de croissance pour les entreprises de l'habillement, car lui ne se copie pas, il ne se pille pas. Alors que les modèles… même quand ils sont déposés! Ce ne sont pas les exemples qui manquent dans les métiers de l'habillement.

A l'opposé des mastodontes, dinosaures, ou autres agences privilégiant leur propre croissance plutôt que la rentabilité de leurs clients, un piège guette les marques exprimant le besoin de se faire connaître: les apprentis sorciers. A l'image du personnage de Walt Disney, ils oublient souvent les dangers qui couvent à mettre en mouvement des forces non contrôlées.

Les apprentis sorciers sont légion de nos jours spécifiquement dans les métiers privilégiant le court terme. Créatif convaincu qu'une image étonnante, choquante ou provocante peut à elle seule séduire, faire acheter et pérenniser une marque. Chef d'entreprise se contentant de reprendre des pages de son catalogue pour construire une image de marque, ou considérant ses seules créations de modèles suffisantes pour perdurer dans un monde avide de symboles. Conseil en marketing-gourous, professant les styles de vie et dissertant sur les évolutions sociologiques sans se rendre compte qu'abreuvé d'informations le public évolue plus vite que les études. Analystes et sondeurs d'opinion qui ne peuvent souvent que prédire que le passé.

Non, la publicité ce n'est plus celà. La publicité c'est de la créativité stratégique, plus de la créativité culturelle, plus de la créativité artistique appuyant une créativité entrepreuneriale.

C'est cette créativité qui est multiplicatrice d'investissements. Car avoir un produit simplement connu n'offre plus la garantie de le vendre aujourd'hui. C'est son positionnement juste - stratégique, image perçue, distribution- qui seul le permet.

Conseils, recommandations, stratégies, créativité…ce ne sont pas les mots qu’il faut changer, mais ce que l’on en fait: privilégier l’idée, préférer l’action et le changement plutôt que le statut quo, inciter l’innovation en combattant la sclérose.


La nouvelle donne, le "New Deal"

Le New Deal publicitaire oblige à concentrer l’attention d'abord sur des concepts porteurs de sens

plus que sur de jolies images gratuites ou des concepts abscons. Le challenge pour les agences de publicité est de développer leurs recommandations autour de concepts et de créations issues d’une vraie idée, source de raisons objectives qui vont rendre la marque suffisamment crédible et entraîner l'adhésion du public.

Une des réponses est dans le passage d’une vision de la masse à une vision de la personne. Une autre dans la capacité de la marque à donner des solutions aux inquiétudes et interrogations de son public face à son produit, voire à répondre instantanément à une demande ponctuelle. Mais la réponse principale est surtout dans la capacité de l'agence à imaginer des réponses innovantes créant de nouvelles envies plutôt qu’à épuiser la marque sur des marchés existants et connus.

Le New Deal stratégique c'est préconiser un investissement précis.

Paradoxe et symbole de cette nouvelle donne marketing, les marques investissent moins et recherchent une efficacité immédiate. Mais vingt ans de publicité subie use, et rend indifférent un consommateur qui n’accepte plus d’être une cible. Les discours de masse ne touchent plus beaucoup de monde: quand les cibles deviennent mouvantes, il faut changer la taille des canons… Les outils de la persuasion commerciale exigent maintenant une très grande efficacité. Celle-ci vient d’une meilleure adéquation entre les discours publicitaires et les publics extraordinairement fugaces et intelligents.

Enfin, le New Deal économique est la dépense juste,

c'est obliger la créativité publicitaire à générer des économies, car une bonne idéen’est pas forcément chère… L’intelligence, la spécialisation et l’astuce se doivent de procurer aux idées les moyens d’être viables économiquement: si la taille d’une agence n’a pas de rapport direct avec l’efficacité, elle a cependant une corrélation étroite avec les coûts engendrés.


Sur quels principes de base devrait fonctionner une agence de publicité en cette période de mutations?

A mon sens, sur 3 principes simples.

Le premier principalement dans les marchés liés à l'habillement est d'avoir une optique et une expérience du marketing de l’offre et de la création de nouveaux marchés. C’est privilégier l’innovation, la remise en cause, c'est détruire le conformisme installé dans les agences endormies par des années de facilité. C'est aussi croire que se battre sur des marchés dominés par des leaders puissants avec leurs armes, est voué à épuiser l’outsider. C'est pour le leader, le convaincre du besoin vital de sans cesse lancer des idées nouvelles créant à leur tour de nouvelles envies. Ne pas laisser les entreprises imaginer que l'innovation se résume à proposer chaque saison de nouveaux modèles. Car un nouveau modèle ne crée unnouveau marché que s'il est appuyé par une volonté farouche et un environnement publicitaire aussi innovant. Les exemples publicitaires réussis dans ce domaine sont frappant par la rapidité avec laquelle les marques ont conquis des positions dominantes: Kookaî, Swatch, Celio, Palladium….

Le second principe c'est la réflexion donnant la priorité à l’analyse des produits, de la stratégie et des moyens de l’entreprise. Ne plus se contenter pour les agences d'une étude auprès de quelques consommateurs pour déterminer la stratégie publicitaire. C'est rechercher, mettre en avant et exprimer les racines génétiques des marques. C'est favoriser l'expression créatrice du chef d'entreprise qui "sent" son produit et qui à force de persuasion peut imposer son point de vue au public. C'est oublier le diktat des années "conso". Ne pas faire confiance aux enquêtes d’opinion et aux études de comportement trop réductrices et favorisant la croyance en une cible de consommateurs moyens irréels.

Le troisième principe, c'est la volonté de rechercher le “pourquoi” plutôt que le “comment".

Après deux décennies consacrées à l'économie et à la séduction médiatique sur fond de dissolution des valeurs, le public des années 90 privilégie de plus en plus la  recherche du sens des choses. L'air du temps a changé. Le zapping généralisé, l'adulation du fric, la dictature des apparences, tout cela irrite sérieusement Dans une société qui va mal, beaucoup de monde pense de mieux en mieux et, convaincre demande aujourd'hui de vraies intelligences, plutôt que du superficiel gratuit. Trouver, grâce à la rigueur de l’analyse, les forces, les points clés qui vont permettre de symboliser et de donner son vrai sens à une marque est l'une des trois réponses préparant l'avenir des cesmarques grâce aux principes publicitaires de la nouvelle donne.

Dans les métiers de l’équipement de la personne, de la mode, du sport et des accessoires la publicité nécessite définitivement un savoir-faire stratégique, un sens marketing et des compétences de design commercial adaptés à la nouvelle donne.

Industriels, marques, enseignes, …de la mode ont besoin de solutions créatives rapides, simples et fortes amplifiant leur valeur ajoutée. Ces solutions ne peuvent être apportées que par des agences de publicité en totale immersion dans les marchés concernés et grâce à la perception que ces agences ne sont en fait que des prestataires au service de l'avenir des entreprises.


02/06/1996